C’est très fréquent qu’une personne qui vient me voir dise « Je n’ai aucun souvenir de telle ou telle période. »
Elle souffre, ne sait pas pourquoi et vient me voir.
La mémoire… La mémoire… cette matière vivante.
Si certaines personnes ne se souviennent pas de morceaux de leur vie, d’autres s’en souviennent, mais ces souvenirs sont comme dans un musée, des objets désincarnés exposées derrière une vitre.
« Oui, j’ai été battue ou violée, ou…. Je le sais, mais c’est du passé tout ça, maintenant je suis adulte, je dois aller de l’avant. »
Mais elle ne va pas de l’avant, elle tourne en rond. Et c’est pour cela qu’elle vient me voir.
Il y a des milliers de manière de parler de la mémoire. Je disais que la mémoire est une matière vivante, oui, mais elle peut geler, ou devenir insensible, comme un membre qui aurait perdu toute innervation. Il est là, vivant et mort en même temps.
Je pensais à tout cela en lisant dans le très beau livre de Lola Lafon (Quand tu écouteras cette chanson ) Dans ce livre, où il est beaucoup question de mémoire, elle reprend une phrase de Louise Bourgeois, « La mémoire ne vaut rien si on la sollicite, il faut attendre qu’elle nous assaille ».
« La mémoire ne vaut rien si on la sollicite, » De fait, ce n’est pas en se creusant la tête que les souvenirs reviennent, elle n’est pas derrière une porte à laquelle il suffirait de toquer.
Pourtant, aller à répétition vers des relations qui font souffrir, c’est parfois une manière de solliciter sa mémoire, une manière de retourner vers des lieux douloureux et essayer d’en sortir autrement.
Prenons un exemple – caricatural, juste pour faire comprendre. Aller régulièrement vers des hommes maltraitants, peut être une manière de retourner visiter une enfance maltraitée, pour tenter d’en sortir autrement. Retenez que mon exemple est caricatural, notre inconscient travaille de manière nettement plus masquée
« La mémoire ne vaut rien si on la sollicite, il faut attendre qu’elle nous assaille » Je dirais plutôt, il faut entrevoir comment elle nous assaille. Vers quels actes incompréhensible elle nous entraîne à répétition.
Entrevoir cela, c’est prendre le temps de renouer les souvenirs à la vie, c’est se laisser aller à rêver, c’est donner de la place à une odeur ou à un son que l’on retrouve à un coin de rue, dans un coussin, dans un plancher qui craque, un refrain qui monte aux lèvres…
Un très vague souvenir revient, IL en entraîne un autre et peu à peu la mémoire se revivifie, notre histoire se ranime. Cela prend du temps, c’est vague, on a de la peine à y croire. On a même de la peine à SE croire. « Je me trompe peut-être. J’exagère… »
Il y a des aller-retour. Deux pas en avant, un pas en arrière.
Un membre mort qui retrouve son innervation peut s’avérer très douloureux, le temps d’être à nouveau pleinement en vie, pleinement en liberté.
De la même manière, redonner vie à des souvenirs peut amener angoisses ou tristesses profondes, justement celles que l’on tentait de fuir. Les affronter, ou je dirais plutôt, les traverser ramène à la vie. A toute la vie. Pleinement colorée. Avec ses couleurs belles mais les moches aussi. Avec nos tristesses et nos joies pleinement vécues, pleinement ressenties. On est sorti du musée, la vie est là.