Peut-on penser, fantasmer, dessiner librement?

Pouvons-nous avoir les pensées, les fantasmes que nous voulons ?
Certains vont vous dire Non, d’autres répondent « Évidement ».
Pourtant cette question n’est pas si simple.

Alors, peut-on fantasmer librement ?
Vous / vous Rappellerez peut-être que l’on peut pêcher, même en pensée.
Ça veut dire quoi cette histoire ? Une histoire qui ne concerne pas que les chrétiens mais parle de nous tous.
Cela raconte tout d’abord que les religions sont de merveilleux réceptacles et organisateurs de nos fantasmes, de nos angoisses, de nos culpabilités.
Les religions édictent des interdits universels: Tu ne tueras point, par exemple. Mais elles vont plus loin en nous interdisant parfois de penser : on peut pêcher, même en pensée. La fonction de ce type de pécher est à mettre en regard avec nos sentiments de culpabilité.
Je suis attiré par ma voisine, j’imagine tant et plus et bien sûr en même temps me sens coupable vis à vis de ma femme (que j’aime toujours) ou de mon voisin qui est un pote, etc.

La religion vient confirmer mon sentiment de culpabilité – d’avoir en pensée désiré ma voisine – mais aussi le calmer grâce à des rituels de purification, la confession par exemple.

Parfois les choses sont un peu plus compliquées et sont présentées de manière inversée. Ce n’est pas moi qui au départ ai des pensées impures. C’est ma voisine qui m’attire et provoque ces idées impures en moi.
Toute la révolte des femmes iraniennes qui veulent pouvoir vivre les cheveux au vent est celle de femmes qui disent à la police religieuse « Nous ne vous provoquons en rien. Devenez adultes et débrouillez-vous avec VOTRE culpabilité si vous êtes attirés. De quoi avoir envie de balancer leur couvre chef.

L’histoire serait donc incomplète si l’on ne prenait en compte que notre propre culpabilité, et non également la culpabilisation ou l’oppression du pouvoir en place. Inquisition un jour, tribunal rabbinique ou charia un autre, ou nettement plus camouflée parfois.

Dans son roman 1984, Georges Orwell met en scène la Police de la pensée, chargée de traquer toute pensée déviante. C’est une illustration de la volonté de tout régime totalitaire.
Aujourd’hui, des systèmes de vidéo surveillance permettent de repérer nos émotions. Ce n’est pas encore nos pensées, mais c’est déjà préoccupant tout comme l’est la récolte par les GAFA de nos données personnelles – donc aussi une part de nos fantasmes.

Mais ce qui me semble plus préoccupant encore, c’est de criminaliser les fantasmes. Et il y a au moins un domaine ou cela se passe, c’est celui de la pédophilie.
Soyons clairs : la pédophilie est un crime tout comme détenir des films pédopornographiques, puisque pour leur réalisation des actes ont eu lieu. Mais qu’en est-il d’un dessin qui n’est qu’une production fantasmatique, tout comme un roman, et qu’aucun acte répréhensible n’est commis.
Pourtant plusieurs pays, dont les nôtres, ont des législations qui permettent de criminaliser la détention d’illustrations pédopornographiques, des mangas par exemple.
Pour faire un parallèle: Imaginerait-on mettre en prison quelqu’un qui détiendrait une bande dessinée illustrant un meurtre ?

En tant que psychanalyste, il me paraît essentiel de faire la différence entre d’une part nos actes et paroles publiques dont nous devons être socialement responsables et d’autre part ce qui se passe dans notre tête. En nous. Car c’est bien notre possibilité de penser, de désirer, de fantasmer librement – follement peut-être – qui constitue la base de notre possibilité de nous construire en tant que personne unique et créative.

Mais encore…

Quelques semaines après avoir publié cette vidéo, le dessinateur Vivès était accusé de véhiculer des images pédopornographiques, ce qui m’a amené à une brève intervention

Vivès peut-il fantasmer en paix?

Je comprends mal toute cette polémique autour de Vives, le dessinateur de BD accusé de banalisation et d’apologie de l’inceste et de la pédocriminalité.
Juste pour des BD du style Petit Paul? Non, mais vous avez lu cette BD?
De la gaudriole – pas de mon goût – mais des gouts et des couleurs…
Une BD qui met en scène un assassinat va-t-elle être accusée d’incitation au meurtre?
Il y a une incroyable confusion entre acte et fantasme.
Je vous invite a voir ma vidéo Peut on penser, fantasmer, dessiner librement?

On trouvera quelques éléments du contexte chez Yann Barthes ou sur Manifesto 21 . Comme on le voit, la polémique mêle bien des choses qui sont à distinguer.

  • D’une part, des débats enflammés sur des réseaux sociaux. On ne dira jamais assez à quel point il faut garder une distance mesurée de ceux-ci tant ils sont devenus la décharge d’invectives, de haine, voire de menace de mort. Le pousse à la rapidité et au conflit, émulateur de click, en a fait la mise à nu et le déversoir de la plus intense négativité qui réside en nous.
    Sur ce plan, Bastien Vivès s’est excusé. Bien d’autres devraient en faire autant.
  • D’autre part la mise à l’index d’œuvres de fiction – et c’est mon seul point. Dans ma vidéo précédente, je rappelle notamment le lien avec le « péché en pensée » de l’Église catholique. On ne se battra jamais assez contre les idéologies de tous bords qui s’en prennent aux œuvres de fiction. Qu’il s’agisse de l’Allemagne nazie, de la Russie soviétique ou actuelle ou encore de l’Amérique Trumpiste qui expurge les bibliothèques publiques par exemple de livres de Toni Morrison ou Margaret Atwood.

Quant à la qualité du livre concerné, on aura bien compris que je ne le recommande pas comme cadeau de fin d’année…

Ce billet est dédié à cette personne chère qui racontait son passage à la frontière de l’Espagne franquiste. Elle avait un volume de Racine dans sa valise.
A l’ouverture de son bagage, le douanier s’exclama « Racine !? Hum… Lénine, Staline… Racine ! Confisqué ! »

A l’occasion de l’ouverture du Festival d’Angoulème…

… Luc Le Vaillant y consacre sa Chronique «Ré/Jouissances» dans Libération (24 janvier 2023)

Autoportrait de la censure 2023

Monologue de la réactionnaire dame aux ciseaux métamorphosée en annulatrice progressiste, qui s’en prend désormais aux créateurs fautifs plus qu’à leurs œuvres transgressives.

Hello, je suis la censure et, depuis des décennies, j’étais dans le dur. J’avais quasiment disparu, tant personne ne me voyait plus aucune utilité. Depuis mai 1968, la France n’était plus une terre de conquête et il me fallait m’exiler et m’acoquiner avec les théocraties les plus pourries pour retrouver du tranchant. Me voilà de retour, empathique et bienveillante, pleine de bons sentiments et d’idées généreuses.
En fin de semaine, je serai à Angoulême pour le Festival de la BD. Je m’y rengorgerai d’avoir eu la peau de Bastien Vivès et obtenu la suppression d’une exposition à sa gloire. Notez comme j’ai su m’adapter. Désormais, au lieu de bannir une œuvre ou de la passer au rabot bienséant, je me contente de délégitimer un artiste en lui accrochant à la cheville un boulet fatal. Cette fois, il a suffi d’exhumer des propos anciens tenus par Vivès sur un forum de discussion où il tutoyait la pédophilie et l’inceste. Peu importe de savoir s’il s’agissait de fantasmes. D’ordinaire, seul le passage à l’acte valait condamnation. Aujourd’hui, c’est devenu plus ambigu, tant la confusion règne entre réel et représentation, entre IRL et avatar. Et cela fait mon bonheur, d’autant que la notion de réputation a retrouvé une nouvelle faveur chez les commères et leurs compères du village global.
On ne sait trop ce qui attend le justiciable Vivès. Mais il est certain que la star de la BD sent le soufre à jamais. Et cette odeur révulse désormais des narines pincées qui, auparavant, ne détestaient pas piquer du nez dans la fange.
Je reconnais que cela m’amuse assez de prendre ma revanche sur ces petits Mickeys délurés qui m’avaient mis la misère. En deux coups de crayon, ils arrivaient à moquer les importants et à dérégler les mœurs. Il va leur falloir maintenant devenir des citoyens exemplaires et des humains appropriés pour ne pas risquer de se voir éjectés du système de validation où j’interviens en experte.
Admirez comme je me suis métamorphosée pour persévérer dans mon être. J’étais répression dure, me voici annulation doucereuse. J’étais couteau et ciseaux. Me voilà bâillon et édredon. J’étais patriarcale, me voilà néo-féministe. J’étais de droite, me voici de gauche. Je tenais mes pouvoirs de l’état papa, je m’autorise désormais de la société maman. Je voulais incarcérer, je me contenterai de rééduquer. J’étais rosse vigoureuse, me voici rose flétrisseuse et violette venimeuse.
J’étais le bras armé du conservatisme et je guillotinais le talent déviant et la contestation de l’ordre établi. Me voilà suppléante d’une révolution victimaire, dommage collatéral d’une ardente obligation, omelette qu’on tranche aux deux bouts après avoir cassé les œufs. Je tombais de haut comme un couperet. L’ennui, c’est que ceux qui subissaient mes foudres avaient fini par en tirer gloriole à mesure que l’autorité régressait, que la sanction ennuyait et que la liberté d’expression imposait ses débordements comme autant de défis désirables.
J’étais dépendante du pouvoir politique, de ses irritations comme de ses renonciations. Je suis désormais l’humble servante d’une opinion que choque le moindre irrespect et qui tient la critique la plus bénigne pour une offense. Je m’attaquais aux productions des créateurs. Je m’en prends maintenant à leurs biographies. J’étais une accusatrice publique, me voilà dénonciatrice privée. Je fais mon miel des privautés répertoriées comme des bêtises abruptes, des amours mortes et des lits défaits, des mauvaises pensées et des propos mal tenus.

J’étais la petite sœur du gaullisme grognon avant de perdre de ma nocivité sous Mitterrand. Me voilà égérie de la génération W, avec un w comme «woke». Celle-ci recrute chez les Y et les millénnials mais sait aussi enrôler plus large, chez ceux qui pensent que les identités longtemps méprisées doivent pouvoir imposer la prise en compte de leur sensibilité exacerbée. Des années durant, j’ai été payée pour repérer les atteintes à l’autorité de l’Etat, les abus de blasphème et les excès de pornographie. Ainsi, avant de m’occuper de quelques rappeurs niqueurs de flics et autres apologues du terrorisme islamique, j’ai mis à l’index le film la Religieuse ou les romans Histoire d’O, Eden, eden, eden ou Lourdes, lentes. En ce temps-là, je me fichais comme d’une guigne des perversions de Jacques Rivette ou de Pauline Réage, de Pierre Guyotat ou d’André Hardellet. Désormais je me sers des incriminations judiciaires du réalisateur Roman Polanski ou de l’acteur Sofiane Benacer pour torpiller la réception de leurs performances et de leurs prestations dans l’Affaire Dreyfus ou les Amandiers.

J’étais une vieille chose, méchante et décatie. Me voilà ragaillardie par une faveur numérique aussi démocratique qu’anonyme. Me voici forte d’un soutien populaire, difficile à évaluer mais qu’importe puisqu’il crédibilise mes actions. Et fait de moi une meuf engagée, enviée et aiguisée.

 

 

On court,
on zappe,
on est pressés...
Quand prenons-nous le temps de voir ce qui se passe en nous?

Arrêtons-nous un moment...

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